Tino Gonzales
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


Tino, pour commencer, peux-tu évoquer ton enfance à Chicago ?
J’ai grandi dans le «South Side», au sein d’une famille «latino», dans un environnement qui comptait une grande majorité d’afro-américains. Puis j’ai déménagé dans une autre ville, Madison, qui se situe dans l’état du Wisconsin à quelques heures de route au nord de Chicago. La vie y était beaucoup plus calme…

A l’époque j’étais assez «fugueur» et j’aimais parcourir la campagne. Cela était, probablement, dû au fait d’avoir longtemps déambulé dans les mêmes quartiers. Je suis allé à l’école jusqu’à l’âge de 15 ans, à cette époque je jouais déjà de la musique…
Puis je me suis installé au Canada pendant une durée de 6 ans. Par la suite je n’ai cessé de voyager et ne suis, jamais, resté plus de deux ou trois ans au même endroit. Je suis devenu un «vagabond de la musique».

Ce goût du voyage, c’est vraiment quelque chose que tu as dans le sang…
Je ne peux pas l’expliquer, j’ai toujours réagi en fonction de mes coups de cœur…
Je suis plus stable depuis quelques temps. Je suis bien installé et je peux, tranquillement, travailler chez moi. J’y écrit et compose des chansons…
J’aide aussi d’autres musiciens en les produisant, je travaille sur des films, des documentaires et des clips vidéo.
J’adore jouer mais je ne ressens plus un grand besoin d’effectuer des tournées.

Peux-tu m’en dire davantage sur tes films ?
Ce sont, avant tout, des documentaires.
Pour le dernier en date, j’ai voyagé dans toute l’Allemagne afin de récolter des témoignages de personnes âgées. Ceci afin de connaître leur culture, je voulais comprendre ces gens qui ont connu la guerre et qui conservent une sorte de fierté en eux.
Comme je te l’ai dit je fais, aussi, pas mal de films qui se rapportent à la musique. Le support CD touche à sa fin… Les labels et les distributeurs cessent leurs activités à tour de bras…

Il est important, qu’aujourd’hui, les musiciens (et les artistes en général) diversifient leurs travaux. Il faut être créatif… Pour cela il faut du temps et aussi un minimum d’argent. Tu ne pourras pas devenir créatif si tu dois passer tes journées à bosser chez McDonalds ou dans une usine Renault.
Malheureusement, beaucoup de musiciens doivent avoir une autre activité professionnelle pour subsister. C’est pour cette raison que, tous les ans, on retrouve les mêmes noms dans nos salles de spectacles.
C’est toujours les mêmes : Popa Chubby, Ana Popovic etc…

Récemment j’ai découvert une jeune fille très talentueuse, il s’agit de Nina Attal.
J’espère qu’elle aborde sa carrière très prudemment. Elle est jeune et j’ai l’impression qu’elle veut tout trop vite. Plus vite tu arrives au sommet, plus vite tu en tombes… C’est quelque chose de très difficile… Cette artiste a tout pour elle. Elle est jolie, elle fait de la bonne musique mais elle a encore besoin de temps pour se développer. Je souhaite sincèrement que les gens qui l’entourent soient très prudents, sinon elle risque d’aller au crash.
Si elle veut s’exporter, il faut qu’elle travaille encore son anglais. Je suis américain et je peux t’assurer qu’elle n’est pas encore en mesure de jouer dans des pays anglo-saxons en raison de son vocabulaire qui est trop limité…
Il faut qu’elle continue de travailler dur et qu’elle évite de tomber dans un piège. Celui de brûler les étapes trop vite. J’ai vu tellement de jeunes, tout aussi talentueux, s’effondrer du jour au lendemain.

C’est un peu ce qui se passe pour Ana Popovic. Je l’avais découverte, il y a 7 ans, dans des petits clubs d’Amsterdam. Tout à coup sa carrière s’est accélérée et elle est partie aux USA.
Aujourd’hui sa notoriété semble, déjà, s’estomper. Cela s’est passé trop vite…
Quand on a 18 ans, il faut d’abord penser à développer son art et ne pas hésiter à consacrer deux ou trois années supplémentaires à son éducation afin de devenir meilleur. Il est inutile de penser à Hollywood tout de suite….
Pour en revenir à Nina Attal, j’espère qu’elle va trouver un manager qui a la tête sur les épaules. Si c’est le cas, à l’âge de 21 ans elle sera au top et pourra voir les choses sereinement…
C’est facile d’arriver au sommet rapidement, mais il est très dur d’y rester…
C’est simplement ce que je ressens, en fonction de tout ce que j’ai pu voir tout au long de ma carrière…

Tu as voyagé dans le monde entier, quel est le pays que tu préfères ?
Sans aucune hésitation, la France !
J’aime l’art de vivre que l’on trouve dans ce pays, ainsi que la mentalité de ses habitants !
Pour moi, les français sont les seuls qui ont des «couilles». S’ils ne sont pas d’accord avec quelque chose, ils arrêtent de travailler et ils le disent. Il ne faut pas confondre vivre pour travailler et travailler pour vivre. En Allemagne les gens ne pensent qu’au boulot, c’est travail, travail et encore travail…
Ils n’ont plus le temps de vivre, les français ont une autre mentalité.

C’est pour cela, qu’après tous mes voyages, j’ai décidé de m’acheter une maison en France. Dommage que la situation de la musique y soit si mauvaise. Il devient de plus en plus difficile d’y trouver des concerts alors que vous avez, de plus en plus, de grands talents.
L’Allemagne est, probablement, le meilleur endroit pour le blues en Europe. Il y a davantage d’endroits où jouer, il est plus facile d’y travailler.
Le Benelux offre, également, beaucoup de possibilités…
Ceci dit, si je devais choisir un pays où finir mes jours… ce serait la France….

Pour en revenir à ta jeunesse, peux-tu me dire quand et pourquoi tu as décidé de te lancer dans l’apprentissage de la guitare ?
J’ai commencé à jouer de la guitare aux côtés de mon père en 1962. Petit à petit j’ai, aussi, commencé à chanter…
J’ai grandi dans un environnement où la musique noire était omniprésente. Compte tenu de mes origines familiales, le fait de faire une musique «multiethnique» m’est venu naturellement. J’ai rapidement mélangé des sons latinos au blues, à la soul, au funk…
J’ai du sang latin et je n’ai jamais souhaité le renier. C’est pour cette raison que je me suis engouffré dans une voie musicale mixant toutes mes influences. J’en suis fier et je considère cela comme une chance.

Cette orientation musicale est donc antérieure au succès du groupe Santana ?
J’ai commencé avant qu’il ne devienne connu. Par la suite je l’ai écouté lorsqu’il a commencé à devenir célèbre, à la fin des années 1960. J’aimais, également, écouter des vieux artistes de blues, de rythm and blues et les prémices du funk. C’est ce mélange qui est à l’origine de ma musique, qui peut aussi parfois s’inspirer du jazz.

Ta famille était-elle constituée d’un nombre important de musiciens ?
Non, il n’y avait que mon père…

C’est donc lui qui a été ton professeur…
Il a été un professeur spirituel. C’est lui qui m’a poussé et encouragé dans cette voie…

A quand remontent tes débuts professionnels ?
J’avais 15 ans lorsque j’ai commencé à gagner de l’argent avec ma musique. Mon père travaillait dans une usine. Dès l’année 1965, je pouvais gagner l’équivalent de 200 euros par semaine. A l’époque c’était important et ça constituait un apport considérable pour ma famille.
Je devais garder, à peu près, l’équivalent de 50 euros pour moi…

Etait-ce sur la scène blues de Chicago que tu te produisais ?
Non sur différentes scènes, je me produisais principalement dans le milieu rock d’ailleurs. Je pouvais reprendre des titres d’artistes aussi divers que les Beatles, James Brown, Stevie Wonder…
Dans les années 1960 ces artistes étaient très populaires…

Quels sont les meilleurs souvenirs que tu gardes de cette période ?
Peut être un souvenir qui remonte à mes 17 ans. J’avais eu, alors, la chance de rencontrer Jimi Hendrix. A l’époque, ils se produisait en première partie des Monkees dans le cadre d’une tournée américaine (7 dates en juillet 1967, nda).
Après un concert il s’était rendu dans un club, c’est là que je l’ai rencontré et que j’ai pu discuter avec lui.

A quand remontent tes débuts discographiques ?
J’ai enregistré un premier single (un 45 tours) lorsque j’avais 16 ans. C’était au sein d’un groupe de pop rock, dans les années 1960. Mon premier album, sous mon propre nom, remonte à 1989. A l’époque, il s’agissait d’une cassette audio.

Était-ce sur un label américain ?
Oui, un label indépendant…
Puis j’ai réalisé des CD pour un autre label de Philadelphie.
Mon troisième album studio est paru sur le label Dixiefrog qui m’a contacté alors que j’étais aux Etats-Unis.
J’ai eu beaucoup de chance d’entrer en contacts avec Philippe Langlois (dirigeant de Dixiefrog, nda), qui a développé ma carrière en Europe. Il m’a beaucoup aidé…

Quelles sont les circonstances exactes de cette collaboration ?
Philippe m’a contacté après être tombé sur un CD que j’avais sorti aux USA. C’était à une période où je souhaitais, justement, partir en Europe. Cela a donc été une bonne occasion et j’ai, immédiatement, accepté sa proposition. Nous avons réalisé un premier disque qui a été très bien reçu. Nous en avons fait trois autre ensemble par la suite (la discographie de Tino est, à ce jour, constituée de 11 albums dont deux live, nda)…



Ton dernier enregistrement a été réalisé avec le groupe Los Reyes Del K.O (« Funky Tortillas », Blues Boulevard). Peux-tu me présenter ce combo ?

C’est un excellent groupe espagnol, constitué d’un harmoniciste et d’un guitariste (Marcos Coll et Adrian Costa, nda).
Ce sont des vrais bluesmen, ils possèdent un son particulièrement authentique.
Je les avais rencontrés à Berlin. Notre contact a été excellent et j’ai, tout de suite, accepté de participer à «Funky Tortillas», alors que je n’avais rien sorti depuis 4 ou 5 ans.

Je ne considère pas que j’ai quitté Dixiefrog mais je ne souhaite pas enregistrer un disque tous les ans. J’avais besoin d’un break, je suis quelqu’un qui aime prendre son temps.
Je ressens la nécessité de voir d’autres choses, de connaître d’autres sensations. C’est un choix que je ne regrette pas car je suis très heureux dans ma vie actuelle.
Je ne me produis plus que rarement sur scène. Souvent à proximité de chez moi à l’occasion de petits gigs. Je suis très occupé avec mes autres activités, notamment auprès d’une petite compagnie de production à Stockholm, en Suède. J’écris aussi des chansons…

Justement, puisque tu es un songwriter, quels sont tes thèmes de prédilection ?
Je parle de la paix et des relations entre les gens, en m’inspirant de ce que j’ai pu vivre auprès des différentes cultures que je connais. Parfois j’évoque la religion, les rapports en l’islam et le christianisme. Les frictions liées aux points de vue qui s’opposent. Nous pouvons tous vivre ensemble et former une seule et grande famille.

J’étudie les choix des nations et leurs politiques respectives, aussi bien les faits positifs que leurs actes négatifs. Je me vois mal écrire des choses du genre «je me suis levé ce matin, ma chérie m’a quitté et j’ai besoin de boire du whisky…».

Trop de chansons évoquent ce genre de sujets. Je fonctionne avec mon cœur, comme un peintre devant sa toile. J’essaye de faire ressortir mes sentiments et d’exprimer ce que je peux voir autour de moi. Evoquer le vieillissement de personnes chères à mon cœur qui, un jour, seront malades puis disparaîtront…

Comment définis-tu ta musique ?
De la même manière, c’est une musique qui vient de mon cœur.
J’essaye, humblement, d’apporter un peu de bonheur aux gens. J’aime le blues mais je ne suis pas réellement un bluesman. J’aime beaucoup d’autres musiques, j’ai le sang latin (Tino a, par ailleurs, été surnommé le « Chicano de Chicago », nda)…

J’apprécie les belles chansons, comme celles que pouvait écrire Claude Nougaro (Tino ne parle pas le français mais il est sensible aux mélodies et la diction de l‘artiste toulousain, nda). A l’époque il m’avait invité pour l’un de ses shows à Paris, car il avait aimé l’une de mes chansons…
Je vise aussi bien les enfants que les personnes âgées, je veux réaliser une «musique humaine». Je tiens à refléter ma vie à travers elle, c’est le travail de ma vie !

Cette nuit, tu vas te produire avec Guitar Crusher. Quelles sont vos relations ?
Je l’ai aussi rencontré à Berlin. Il est, régulièrement, venu me voir à Freiburg par la suite… Mon bassiste, qui s’occupe de mon booking, le propose parfois à mes côtés pour certaines dates. Cette nuit il va faire 4 ou 5 chansons. Je vais effectuer mon propre show et me ferai un plaisir de m’adapter à son propre registre le temps de son intervention. C’est un vrai bluesman !

Je dois, cependant, t’avouer que je n’aimerais pas être à sa place. Il est touchant de le voir, à l’âge de 80 ans, être obligé d’effectuer des petits concerts pour vivre. Il mériterait de goûter aux joies d’un repos que son âge et son état de santé nécessitent.


Est-ce uniquement parce que tu considères que l’Allemagne est un bon pays pour le blues que tu as décidé de t’y installer ?
Pas uniquement…
L’endroit où je vis est très spécial car on y retrouve, comme en Alsace, un vrai mélange culturel entre les allemands, les suisses et les français. Je me suis aussi intéressé à l’histoire, très compliquée, de cette partie du monde.
Il y a, par exemple, beaucoup de châteaux du moyen-âge.

De plus c’est assez central géographiquement, tu peux t'en rendre compte toi qui vis à Colmar. Cela a un côté pratique… Tu résides dans une très jolie ville et, en 3 heures de TGV, tu peux tranquillement aller déjeuner à Paris ou Berlin. De nos jours, il est aisé de vivre dans un endroit que l’on aime tout en passant un maximum de temps dans une autre ville où on peut travailler, avoir une petite amie etc…

Pour toi, quelles sont les plus grandes différences entre la scène blues américaine et la scène blues européenne ?
Il y a beaucoup plus de travail de ce côté ci du monde. Ce n’est pas pour rien qu’il y a de nombreux artistes américains qui vivent en Europe. Je reçois souvent des e-mails de musiciens d’outre Atlantique et je les encourage à venir ici… et pas uniquement pour jouer. Depuis 12 ans je n’ai pas ressenti le besoin de retourner aux USA, j’aime ma vie ici. L’environnement est moins agressif et c’est très joli.

Le fait d’être guitariste n’est pas le plus important, ce qui l’est est le fait d’être créatif. Pour cela tu n’as besoin ni d’un instrument, ni d’un stylo. Tu as besoin d’un environnement qui t’inspire.

Quels sont tes souhaits pour l’avenir ?
Je vis mes souhaits actuellement, au jour le jour…
Je vis en paix et je suis heureux… j’essaye d’être honnête, authentique et positif…
C’est comme en musique, il ne sert à rien de jouer le plus fort possible pour se sentir être le meilleur.
J’évite les conflits inutiles et je plains les gens qui se chamaillent pour des raisons aussi futiles que leurs voitures, du genre «ma voiture est meilleure car c’est une Peugeot, alors que toi tu as une Renault…» ou «tu aimes le cassoulet royal alors que le pudding c’est meilleur» (rires)…

J’apprécie le fait de trouver de la musique partout mais, pour moi, la vraie vie et de prendre son temps afin de nourrir toutes ses passions. Par exemple, j’aime aller à la pêche… je n’ai pas uniquement besoin de ma guitare pour vivre.
L’important est de croire en soit, d’essayer de vivre en paix, en harmonie avec la nature et de savoir aider les gens qui en ont besoin. Pour cela il n’est pas utile de croire en un Dieu en particulier… D’ailleurs, combien de gens sont morts pour la religion ?
Il faut apprendre à connaître la culture de l’autre. Cela aussi représente un travail de longue haleine. Les mentalités ne sont pas les mêmes entre les habitants de Lille et ceux de Périgueux… comme en Allemagne, entre ceux de Berlin et ceux de Freiburg.

Les gens pensent parfois, trouver mieux ailleurs. De ce fait ils n’hésitent pas à déménager loin avant de se rendre compte qu’ils n’arrivent pas à « s’acclimater ». Ce n’est jamais une chose évidente…
J’aimerais aussi que le business s’intéresse davantage à l’aspect humain des artistes. Que ceux qui dirigent les grandes firmes musicales cessent de ne penser qu’au rendement. Qu’ils privilégient les hommes et les femmes qui, par leurs créations, nous apportent tant de bonheur.
J’en reviens encore à parler de Nina Attal… Je l’ai découverte il y a peu et je crois sincèrement en elle. Son potentiel est vraiment considérable, elle est formidable…

J’ai, simplement, peur que des gens malintentionnés se servent d’elle sur une courte période, afin de gagner de l’argent sur son dos.
Que les jeunes soient prudents. Qu’ils travaillent pour se construire une carrière plutôt que de chercher un succès qui peut s’avérer aussi conséquent que bref.
J’espère que l’art et les humains passeront toujours avant l’intérêt de certains financiers…

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Interview réalisée
Caf’ Conc’
d’Ensisheim
le 30 octobre 2010

Propos recueillis
par David BAERST

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